Retour du congrès national : la digitalisation est en marche

Trois jours de rencontre, quatre mille participants, près de deux cents partenaires exposants… sans compter la présence du Premier ministre en personne, un concert privé de Jean-Louis Aubert et quelques excursions à la découverte de notre belle région… Le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables a créé un véritable événement régional en organisant à la Grande Halle, du 10 au 12 octobre, son 73e congrès national. Daniel Parot et Eugénie Pion, avec leur regard légèrement décalé d’experts-comptables spécialisés dans les comités d’entreprise, livrent leurs impressions à chaud, l’esprit encore rempli des multiples conférences, débats et rencontres vécues durant ces trois journées.

 

Vous sortez de ces trois jours de congrès national des experts-comptables. Quelles sont vos premières impressions ?

Eugénie Pion : C’est l’événement où il fallait être pour notre profession, du fait qu’il se déroulait à Clermont. Et cela permet une veille générale sur notre métier.

Daniel Parot : Cela permet d’observer quelles sont les tendances lourdes de la profession. Je ne me rends pas au congrès chaque année, mais pour cette édition, la thématique était intéressante : elle portait sur la stratégie des cabinets d’experts-comptables et sur la digitalisation dans la profession, dans l’économie et dans la société.

Ces journées nous ont confortés dans l’idée qu’une évolution très forte est en cours et qu’il vaut mieux être dans le train que de le regarder partir. Sur la digitalisation, c’est bien que les instances nationales nous tirent en avant, mais on a pu mesurer l’écart énorme entre ce qui nous a été montré et ce qui se pratique dans la grande masse des cabinets.

Enfin, c’est bien de passer du temps hors du bureau, d’avoir l’esprit disponible pour réfléchir à ses pratiques, de prendre du recul.

« Le digital va nous imposer une réorganisation en profondeur »

Quelles sont les idées fortes dont vous vous êtes nourris ?

EP : D’abord l’idée que la société évolue et que cela converge vers la digitalisation. Dans nos pratiques professionnelles, cela implique un changement de méthodes, pour nous, mais aussi pour nos clients, auprès de qui nous allons devoir être moteurs et proposer des solutions agiles. Dans les 5 à 10 ans, il va falloir adopter des logiciels qui vont traiter les données de façon sécurisée, fiables, les plus automatisés possibles.

DP : La grosse majorité des experts-comptables n’a pas encore adopté ces nouvelles méthodes. J’ai encore entendu cette vieille expression du « client boîte à chaussures », ce qui illustre l’aspect encore très artisanal de notre métier. Il y aura de gros investissements à réaliser, en coût de logiciels mais aussi en formation et en réorganisation.

Pour ce qui concerne notre clientèle des comités d’entreprise, on pense aux assistantes qui font beaucoup de saisie. Quand celle-ci sera automatisée, les emplois ne vont pas disparaître, ils vont se tourner vers des tâches plus intéressantes mais qui demandent du temps : le contact avec les salariés, l’organisation d’événements conviviaux, de voyages, etc.

EP : Au-delà de la suppression des tâches automatiques, les nouveaux outils vont aussi permettre de résoudre des problèmes d’égarement de données par multiplication des sources. Aujourd’hui les données se trouvent sur les messageries, sur papier, dans des documents très divers ; la tendance va aller vers la concentration de tous les flux de données vers une interface unique. L’assistante aura un rôle à jouer sur le contrôle et l’analyse des flux. On se rend compte que plus de digital implique plus d’humain.

Nous avons vu des démonstrations d’outils de pointe en matière de gestion électronique de données. Ils permettent de répondre aux questions de sécurisation, d’archivage, d’échange avec les administrations fiscales ou sociales…

Eugénie Pion et Daniel Parot dans les allées du Congrès, du côté des exposants : de nombreux professionnels experts, mais aussi, du côté du stand de l’Auvergne, des experts d’un domaine bien différent, les joueurs de l’ASM…

Ces nouvelles organisations sont-elles applicables à votre domaine particulier, celui des comités d’entreprise et des futurs comités sociaux et économiques ?

EP : Nous l’avons constaté dans le congrès : la profession anticipe, est au courant de l’élaboration des législations, se tient en alerte perpétuelle. De ce fait, elle réussit à présenter des solutions, à montrer que l’évolution peut être vécue comme une opportunité. Les CE n’ont pas les mêmes moyens pour s’adapter et anticiper.

DP : Les outils qu’on nous a montrés ne seront peut-être pas pour demain dans les CE, qui ne sont pas aussi bien organisés que les entreprises. Surtout dans les petits CE, gérés uniquement par des élus qui se succèdent, parfois sans récupérer d’archives. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait des services à rendre dans ce domaine.

« Les outils spécifiques pour les CE restent à construire ou à améliorer »

Quel message aurez-vous envie de transmettre à vos clients, élu.e.s et assistant.e.s ?

EP : Quand nous adopterons de nouveaux outils de gestion de données, nos clients devront les adopter aussi. Cela peut servir d’impulsion à une organisation et une transmission plus efficaces des données. Mais nos clients devront évoluer en termes de méthodes et d’organisation.

DP : Par rapport à la majorité des experts-comptables, qui travaillent avec des entreprises où il y a toujours au moins une personne dont c’est le métier de s’occuper de l’administratif, nous avons une difficulté supplémentaire : beaucoup de nos CE sont gérés par des élus, qui n’ont pas tous l’expérience des procédures, de la facturation, de l’archivage… De plus, ils se renouvellent à chaque mandat. Il faut donc les former, les sensibiliser, les conseiller…

EP : Les outils que nous avons découverts au congrès sont prévus pour le secteur des entreprises privées, par pour les CE : il y a des différences fondamentales à prendre en compte, comme le plan comptable applicable et surtout, la distinction de deux budgets pour une même structure.

Les éditeurs de logiciels n’ont pas d’intérêt à développer des outils spécifiques pour les CE, le marché est trop petit. Quant aux éditeurs de logiciels spécifiques pour les CE, ils sont très en retrait en termes de qualité. Il va nous falloir trouver les outils qui nous permettront de ne pas être trop en retard, lorsqu’il s’agira de se conformer aux exigences des administrations ou des législations.

DP : On a travaillé sans logiciel comptable pendant des années, donc on pourra continuer à le faire. Mais toute la gestion en amont et en périphérie – paies, banque, déclarations fiscales… – devra à terme s’adapter à la digitalisation.

EP : Nous aurons à conseiller nos clients dans le choix de logiciels adaptés aux évolutions qui se préparent. Il y a de nombreux enjeux à prendre en compte : RGPD, signature électronique, archivage, organisation interne…

DP : Lors d’une des conférences, j’ai appris que désormais, toutes les entités qui font des factures pour l’État vont devoir les dématérialiser, avec signatures électroniques. C’est un basculement lourd. On peut prévoir que cette pratique va se généraliser à l’horizon 2025 ; ce n’est pas très loin. Mieux vaut être dans l’anticipation que d’avoir à changer dans l’urgence.

« Les CE doivent s’entourer d’experts de valeur »

Hormis les enjeux de la digitalisation, quels autres aspects avez-vous retenus ?

DP : J’ai assisté à une très intéressante conférence sur la stratégie globale, l’autre thème du congrès. Il en ressort que ceux qui n’ont pas de stratégie disparaissent. C’est incontournable. J’ai retenu deux principes : ‘‘Le succès passé n’implique pas le succès futur’’ et ‘‘Le jeu concurrentiel est en perpétuelle évolution’’.

Pour ce qui concerne la comptabilité des CE, nous sommes dans une zone de turbulences manifeste, à cause de la digitalisation et du passage au CSE. Il est donc d’autant plus important de mettre en place une stratégie. Cela vaut pour notre cabinet – nous nous y efforçons – mais aussi pour nos clients. À ce niveau, c’est plus délicat. D’abord parce que l’horizon des élus n’est pas naturellement le long terme. Mais aussi parce que le terme de stratégie, propre au champ militaire et à celui de l’entreprise, peut rebuter. Mais on pourrait aussi parler de politique ou de programme…

EP : Pour ma part, je pense à une autre conférence, qui éclairait le sujet de l’organisation sous l’angle de la musique : lorsque des musiciens jouent ensemble, la partition ne suffit pas ; ils doivent se regarder et communiquer entre eux pour sublimer la musique. Interagir en réseau, rester à l’écoute : cela fait aussi partie de notre vécu professionnel.

DP : J’ai aussi été frappé par un constat : nous sommes très peu sur cette spécialité d’accompagnement des comités d’entreprise. Mais c’est important que les CE aient des consultants et experts de valeur, parce qu’en face, ils en ont. Cela nous a confortés dans notre position de ne pas être seulement dans la comptabilité pure. Nous avons aussi un rôle de conseillers privilégiés.

EP : C’est pour cette raison que nous devons nous tenir au courant, nous maintenir au niveau.

 

Comment avez-vous ressenti le contact avec les autres experts-comptables, ceux d’‘‘en face’’ ?

DP : Je n’hésite pas à afficher ma spécialité et j’ai ressenti du respect. Il y a aussi un vrai enrichissement, une prise de température. On se rend compte qu’on est dans les mêmes problématiques. Un congrès, ça œuvre pour une cohésion de la profession. Et dans ce sens, c’est un avantage d’être une profession organisée.

 

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