« Pour exercer efficacement son mandat, la clef, c’est d’anticiper »

Après les avocats du cabinet Borie et Associés, nous poursuivons par Syndex nos rencontres avec les intervenants de la journée « Réussir son mandat » proposée aux élus de CSE le 25 mai à Cébazat par Arex.

Le cabinet d’experts-comptables Syndex est spécialisé dans les expertises pour assister les comités sociaux et économiques dans leurs prérogatives. Laurent Gonzalès interviendra sous la forme d’une conférence sur le thème « S’investir dans les questions de santé, sécurité et conditions de travail », plus précisément sur le cadre théorique pour opérer une articulation avec l’atelier pratique du cabinet Borie. Il animera également, avec son collègue Thibaut de l’Eprevier, un atelier centré sur « l’optimisation du mandat des élus, de l’appui conseil aux expertises légales ». Il nous détaille les enjeux de ces deux sujets.

A quels besoins ou quelles difficultés particulières des élus de CSE allez-vous répondre lors de cette journée ?

Laurent Gonzalès : Nous constatons qu’il y a eu un loupé des négociations pré-électorales lors de la mise en œuvre des ordonnances Macron créant les CSE. Très peu de comités ont perçu la nécessité d’un accord préalable permettant notamment de leur donner des moyens sur les aspects santé, sécurité et conditions de travail. Le résultat, c’est que les élus ont été absorbés par d’autres sujets qui leur étaient plus familiers, notamment sur la situation économique et sociale de l’entreprise ou les activités sociales du CSE. Et nous voyons arriver les élus dans les formations SSCT à la fin de leur mandat, ce qui n’est pas très logique.

Par ailleurs, j’ai bien peur que ce moment de négociation d’un accord pour le prochain mandat soit à nouveau négligé : si on manque ce moment pour se donner des moyens, il est manqué pour toute la durée du mandat. C’est un des messages que je souhaiterais faire passer dans la conférence du matin.

Cela traduit-il le fait que les élus de CSE n’ont pas conscience de l’importance des questions de santé, sécurité et conditions de travail ?

L.G. : Ils en ont conscience, mais ils ne l’anticipent pas, parce qu’ils n’ont pas assez de temps à y consacrer et parce que, n’étant pas assez formés sur ces sujets – faute de temps ! – ils ne mesurent pas l’ampleur de ces questions et les leviers qu’ils pourraient actionner pour les travailler.

Il est fréquent qu’ils ne pensent à se former que tardivement, et encore dans des formations courtes et généralistes, insuffisantes pour traiter certains sujets en profondeur.

Par exemple, la loi Santé au travail de 2021 leur donne une nouvelle prérogative de contribution au Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels, le DUERP. Pour cela, il est nécessaire d’avoir été formé à lire un DUERP, mais aussi d’avoir réalisé un travail de proximité auprès des travailleurs par des visites, des enquêtes, des questionnaires, etc., pour connaître les conditions de travail dans tous les services. D’autant plus que le système des représentants de proximité instauré en 2017 fonctionne mal. Il faut aussi avoir une connaissance précise des prérogatives du CSE : il peut faire des propositions d’amélioration des conditions de travail et l’employeur est tenu de se justifier s’il ne les retient pas. Si on a reçu une formation spécifique sur le DUERP, on peut anticiper tout cela et contribuer de façon constructive.

Aujourd’hui les élus sont démunis : ils sont confrontés à des organisations pathogènes, avec un enjeu important sur les risques psycho-sociaux, que le covid et le développement du télétravail n’ont pas arrangé. Ils se retrouvent souvent entre des salariés malades et des directions rigides et ne savent pas quoi faire. Cela peut facilement les épuiser.

Syndex

Laurent Gonzalès (à droite) et son collègue de Syndex Thibaut de l’Eprevier, avec qui il animera l’atelier de l’après-midi. – Photo Syndex

Le manque d’anticipation est-il aussi un problème sur le recours à l’expertise, que vous allez traiter en atelier l’après-midi ?

L.G. : Pour les mêmes raisons, l’action des élus pourrait être plus efficace dans le contexte des informations-consultations, qu’elles soient récurrentes ou ponctuelles.

Ne serait-ce que dans le processus de désignation de l’expert qui va les accompagner : il est, là aussi, nécessaire d’anticiper en définissant un cahier des charges à soumettre au cabinet, car celui-ci a seulement trois jours, une fois désigné, pour demander des informations et documents à l’employeur. Or les champs d’analyse possibles sont multiples et si le CSE ne sait pas sur quoi il souhaite faire porter son action, l’expertise sera standard et n’aura pas de conséquences intéressantes.

Dans l’atelier, nous souhaitons montrer aux participants tout ce sur quoi l’expert peut intervenir, qui peut leur apporter des outils pour négocier. Trop souvent, ils pensent que nous ne pouvons travailler que sur un « audit » financier de l’entreprise, mais nos compétences sont beaucoup plus larges : nous pouvons les aider dans la compréhension de la politique de rémunération, de formation de l’entreprise, sa politique financière, environnementale, etc.

Juste un exemple : celui d’un accord sur l’intéressement. Dans ce cadre, des indicateurs doivent être définis pour établir à quel seuil les salariés peuvent en bénéficier. Le recours à un expert peut aider à comprendre comment ces indicateurs fonctionnent et s’ils sont atteignables. Faute d’avoir anticipé cette question, il arrive fréquemment que les accords négociés ne servent à rien.

Nous sommes 40 ans après les lois Auroux. Avec le recul de cette histoire longue, que vous inspire l’évolution du dialogue social ?

L.G. : Je ne suis pas sûr que les salariés vivent pleinement l’expression du dialogue social aujourd’hui. Cela s’est dégradé surtout depuis la loi Rebsamen de 2015. Une des problématiques est que les élus ont à traiter de questions de plus en plus nombreuses et diverses. Il y a vingt ans, ils avaient un seul avis à produire, sur les comptes annuels de l’entreprise. Aujourd’hui ils ont des prérogatives et doivent se saisir de sujets multiples, y compris sur des sujets de société : l’égalité hommes-femmes, la gestion des emplois et des compétences, l’environnement, le harcèlement…

Cela pourrait paraître une bonne chose, mais la conséquence, c’est qu’ils n’ont plus assez de temps pour travailler chaque question en profondeur. Dans le même temps, leurs moyens, notamment en termes d’heures de délégation, se sont réduits.

D’où l’épuisement, les départs d’élus expérimentés, les décisions de ne pas repartir sur un nouveau mandat… Et les salariés perçoivent l’ampleur des difficultés de leurs élus, ce qui ne donne pas envie de s’impliquer ! Mais il est possible de montrer qu’on peut parvenir à agir en anticipant. Une fois de plus : l’anticipation, c’est la clef.

Quel sont les grands défis à relever pour les nouveaux élus ?

L.G. : Se former le plus tôt possible au début du mandat. Se trouver un domaine d’appétence plutôt que tenter de s’investir sur tous les champs. En conséquence, collégialement, le défi du CSE est de savoir se répartir les rôles.

C’est bien de commencer par une formation générale tous ensemble pour se questionner et avoir une base de connaissances commune, puis de se répartir les rôles, et donc les formations spécifiques. On peut d’ailleurs recourir à des formations inter-CSE, ce qui peut aussi être très stimulant.

La rencontre avec d’autres collectifs d’élus, c’est aussi un apport intéressant de la journée du 25 mai ?

L.G. : C’est toujours une bonne chose de se confronter à l’expérience d’autres CSE. Cela peut leur montrer qu’ils ne sont pas seuls à vivre les mêmes réalités, qu’il y a des possibles. L’intention de cette journée est de leur faire comprendre qu’on peut construire un CSE différent… et mobiliser d’autres salariés pour devenir élus.

La journée a pour titre « Réussir son mandat ». Quelle clef de réussite recommandez-vous aux élus de CSE ?

L.G. : Bien comprendre quel est leur rôle et pour cela, se former et se faire accompagner, non seulement par des prestations ponctuelles d’expertise, mais aussi dans la durée.

 

Pour tout savoir sur le séminaire du 25 mai à Cébazat, lire notre article sur le programme de la journée ici.

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