« Les élus doivent s’emparer de leur mission de fond, qui est de représenter les intérêts des salariés »
Notre cabinet Arex interviendra dans le séminaire du 25 mai sur le « défi » de la gestion comptable des CSE et sur le rapport annuel. Ce troisième entretien nous apporte quelques clefs supplémentaires sur les enjeux d’un mandat d’élu réussi.
Vous avez déjà fait connaissance avec les équipes du cabinet Borie et du cabinet Syndex qui interviendront dans notre séminaire du 25 mai à Cébazat. Nous interviendrons également nous-mêmes en deux temps : une conférence le matin sur le thème « Gérer le CSE, un défi hors du commun », puis en atelier l’après-midi sur la façon de « rendre compte de sa gestion au-delà du financier ». Avec Daniel Parot et Eugénie Pion, ce sont deux générations d’experts-comptables du cabinet Arex qui décryptent les enjeux de ces interventions.
En quoi la gestion d’un CSE représente-t-elle un défi et quelles sont les difficultés auxquelles se confrontent les élus dans ce domaine ?
Eugénie Pion : Beaucoup d’élus ne sont pas formés à la gestion, voire ne sont pas à l’aise avec les chiffres. Ils doivent aussi faire face à des contraintes légales importantes. De surcroît ils sont confrontés à une spécificité des CSE : ils n’ont pas un, mais deux budgets à gérer, avec la nécessité de connaître précisément leurs missions et attributions pour savoir à quel budget affecter les comptes de chacune de leurs activités. C’est la pierre angulaire : s’ils ne cernent pas ces principes, leur mandat sera compliqué.
Daniel Parot : Cela se traduit de plusieurs manières. Premier point : il y a un brouillage provenant des entreprises commercialisant des activités sociales et culturelles ; elles jouent sur les zones de flou, par exemple sur des frais de communication, pour vendre davantage en incitant les CSE à utiliser à mauvais escient une part de leur budget de fonctionnement. Les élus encourent alors des risques – très réels – de se trouver dans des situations délicates non seulement pour eux, mais aussi pour l’entreprise et pour les salariés.
Cela nous amène au deuxième point : les élus doivent avoir davantage conscience qu’ils ne sont pas là uniquement pour organiser l’arbre de Noël. Ils servent aussi à représenter leurs collègues salariés et à porter leurs intérêts devant l’employeur. C’est toute la question de la finalité du CSE.
En quoi ces questions sont-elles liées à la gestion budgétaire du CSE ?
E.P. : Un de mes professeurs aimait bien le formuler en disant : « la comptabilité est l’algèbre du droit », et c’est le droit qui a défini les missions des élus. Concrètement, si dans un procès-verbal de CSE, par exemple, il est inscrit que les élus, en raison de la conjoncture, ont décidé de changer les règles d’attribution des bons d’achat de Noël, ou qu’il leur semble judicieux d’avoir recours à un avocat, cela doit se traduire comptablement par une facture du cabinet d’avocat ou par une prise en charge des bons d’achat différente. Pour résumer, les élus sont tenus à observer une rigueur dans l’exercice de leurs attributions qui doit se traduire par la même rigueur dans leur gestion comptable.
D.P. : Cela renvoie à la formulation « un défi peu commun ». Le défi, c’est que des gens qui ne connaissent rien à la comptabilité doivent se retrouver du jour au lendemain en mesure de tenir une « vraie » comptabilité. C’est pourquoi nous parlons de plus en plus « d’accompagner » les élus : nous leur donnons des repères, nous vérifions qu’ils sont sur la bonne trajectoire et cela au fil du temps.
Concernant l’atelier de l’après-midi, consacré au compte rendu de gestion, à quels besoins allez-vous répondre ?
D.P. : Pour employer un jeu de mots classique, dans le rapport annuel d’activité et de gestion (RAG), on rend des comptes – c’est l’aspect financier – mais on évoque aussi ce qui compte. Quand on pose à quelqu’un la question « qu’est-ce qui compte pour toi ? », il ne va pas forcément parler d’argent. C’est la même chose pour les salariés : ils vont plutôt être intéressés, par exemple, par les activités mises en place, la façon dont elles tiennent compte du quotient familial, etc. En somme, on va raconter la vie du CSE pendant un an.
E.P. : Ceux qui l’ont compris sont capables de présenter des comptes rendus en prise avec les réalités de terrain, mais tous les élus ne l’ont pas compris ou sont trop immergés dans l’opérationnel pour prendre la hauteur nécessaire. Nous avons un vrai challenge de leur faire comprendre que ce RAG doit refléter la philosophie du CSE et montrer comment ils ont répondu aux engagements formulés au moment de leur élection. Ce n’est pas toujours facile pour eux d’argumenter, mais nous essaierons de leur donner des outils simples et intuitifs, pour suivre un cheminement sur ce qu’ils souhaitent questionner et transmettre.
D.P. : C’est important qu’ils s’en emparent pour donner du sens à ce document, même si nous sommes à leurs côtés pour les accompagner. Cela correspond à une attitude plus générale des élus : certains sont passifs dans leur mandat et se laissent imposer des sujets ou des ordres du jour par la Direction. Ils peuvent être réactifs, mais n’anticipent pas un agenda des questions qu’ils veulent traiter.
On commémorait l’an dernier les quarante ans des lois Auroux. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
D.P. : Pour ma part, c’est un anniversaire marquant, car j’ai commencé à travailler précisément en 1982. Ce qui a particulièrement marqué les experts-comptables cette année-là était l’instauration du plan comptable ; mais la création du budget de fonctionnement a été très importante aussi. Cela donnait aux comités d’entreprise une autonomie financière beaucoup plus importante. J’ai commencé à en mesurer la portée environ deux ans plus tard. La création des CHSCT a également été capitale.
Cela a profité aux salariés pendant les décennies 1980 et 1990, mais ensuite, la situation a commencé à se dégrader vers le milieu des années 2000. Le passage du CE au CSE en 2017, particulièrement, a représenté une dégradation du dialogue social, sous le prétexte de simplifier les instances. En supprimant le CHSCT et les délégués du personnel – qui dataient de 1936 ! – on a chargé la barque des élus, qui doivent désormais savoir tout faire…
E.P. : Je n’étais pas née en 1982, donc je n’ai pas le même recul ! Mais les lois Auroux restent un cap important en faveur du dialogue social. On se rend compte que les élus qui n’ont pas cette connaissance historique – s’ils sont trop jeunes et si elle ne leur a pas été transmise par l’encadrement syndical – ont davantage de difficultés à exercer la mission de fond des attributions économiques et professionnelles. Parce que le cadre actuel ne le favorise pas, bien qu’il leur en donne les moyens. Ils sous-utilisent les fonds du budget AEP, alors que les équipes qui ont conscience de leur rôle, au contraire, l’utilisent à plein et peuvent même le trouver insuffisant.
Quels sont selon vous les grands défis auxquels sont confrontés les élus qui débutent leur mandat ?
E.P. : Rester motivé pendant les quatre ans du mandat est déjà un défi ! Pour cela, les élus doivent trouver des points de repère et s’entourer, se faire accompagner.
D.P. : Une des causes d’échec d’un mandat est l’absence ou la perte de cohésion du collectif que forme le CSE. Son efficacité est alors très dégradée. Ce manque de cohésion peut provenir du fait que le collectif, formé de personnes qui se connaissent peu, se cherche ; mais aussi de problèmes de personnalités ou de divergences d’orientations syndicales.
Dans le premier cas, encore plus compliqué dans le cas d’une organisation multisites ou avec des temps de délégation qui ne permettent pas de se rencontrer, il faudra prévoir des temps de rencontre, par exemple en suivant une formation tous ensemble ou en instituant des rendez-vous réguliers pour construire le collectif.
Dans le deuxième cas de figure, c’est plus difficile d’y remédier. Mais nous connaissons des exemples de CSE avec plusieurs syndicats représentés qui parviennent à s’entendre. La clef est de raisonner en donnant la priorité à l’intérêt général des salariés.
Quelles clefs de réussite vous semblent importantes pour « réussir son mandat » ?
D.P. : Tout d’abord se former. On voit à quel point certains secrétaires de CSE – et même d’autres élus – sont démunis pour exercer leur mandat. Il est nécessaire de se constituer un cadre de départ, puis de continuer à se former, à approfondir des sujets et des connaissances tout au long du mandat ; et par ailleurs de se répartir les rôles et compétences au sein du CSE, et donc les thèmes de formation.
E.P. : J’ajouterais l’importance d’échanger entre élus du CSE, mais aussi avec d’autres collectifs qui sont en proximité géographique, syndicale ou sur le même secteur d’activité car chaque secteur a ses problématiques propres. Cela permet de se questionner sur ses pratiques, de se poser les bonnes questions et de trouver des pistes de réponses.
Enfin, il est aussi déterminant d’être accompagné et conseillé pour faire face à la lourdeur des règlements et des procédures. Le CSE, avec le budget AEP, dispose de moyens pour cela : autant les utiliser. Les intervenants de notre séminaire du 25 mai représentent les différents domaines où le CSE peut être entouré. Ce sera une bonne occasion de les rencontrer et de commencer à se constituer un réseau.
Pour connaître le programme complet du séminaire, qui aura lieu le 25 mai à Cébazat, c’est ici.